Nelle Viscere : Ardent Terrane
Une exposition de Sabine Mirlesse à Poush Studios– 5 février au 8 mars 2022
Ardente fut la nuée qui suffoqua par surprise les habitants d’Herculanum et de Pompéi en 79 avant JC. Antique martyre des voisins du volcan dont la colère fascine jusqu’à nos jours. Ces cendres si propices aux cultures sont les mêmes qui encouragent le maraichage jusque sur les pentes des anciens volcans que l’on croyait éteints. Cette roche calcinée et pulvérisée, expectorée jusqu’au ciel depuis les entrailles de la terre, Sabine Mirlesse l’a récoltée à la main dans l’archipel des Canaries comme le matériel infiniment précieux et le pigment de cette nouvelle œuvre surgie tout soudain à Poush : The day it stopped raining stone, no. 1 (Le jour où la pluie de pierre a cessé, no. 1).
Au centre de la pièce, un long voile blanc forme comme une tente, un fragile abri dont les drapés sensuels sont ourlés d’un trait de noir. La poussière a coagulé en fines ridules dans les replis du tissu. Elle y creuse des ravinements géologiques. Les ruissèlements tracent le réseau de leurs affluents pluviaires. L’érosion s’y donne en spectacle dans la blancheur du texte comme aux flancs d’un massif volcanique.
Ce pigment noir sur la toile flottante est la cendre même du volcan Cumbre Vieja, le vieillard ombrageux de l’archipel des Canaries qui, en décembre dernier, a saupoudré les serresblanches des cultivateurs espagnols. Voici quelques poignées de cendres venues encontrebande, depuis les Canaries jusqu’à Clichy. Et voici l’image-source qui est la matrice de cette œuvre inédite de Sabine Mirlesse, produite à Poush pour l’exposition. L’artiste a pris l’habitude de ces visites aux volcans à leur réveil. Dix ans avant cette nouvelle éruption du vieux Cumbre Vieja dont l’image fantomatique s’élève sous nos yeux, Sabine Mirlesse avait noué en Islande, ce pacte intime avec les volcans. Sur l’îlot minuscule d’Heimaey qu’ils partagent avec le très irascible Eldfell, les habitants avaient détourné le flotde roches en fusion de leur village de bois peint. Maisonettes de pécheurs aux vivescouleurs mangées par l’averse des cendres. Mais pour la première fois dans l’histoire, homme et volcan avaient engagé la lutte. Cette interaction primordiale avec le volcan,brièvement apprivoisé par ces villageois islandais, l’artiste n’a eu de cesse de la rêver, de la rejouer.
Nelle Viscere : Ardent Terrane lève littéralement le voile sur cette obsession d’une vie d’artiste pour ce phénomène géologique spectaculaire entre tous. Nelle viscere : au plus intime de la terre. Ce que dit précisément pour les géologues le terme technique de Terrane qui désigne ce fragment de la croute terrestre qui a été arraché en profondeur à uneplaque tectonique. Jeter ainsi un œil au fond du cratère, jusqu’au centre de la terre. Quidepuis Jules Vernes n’en a rêvé ? Là est une faille entrouverte sur le premier magma del’univers, la fusion initiale d’où la terre est apparue. Reflet atténué de l’énergie solaire. Mais l’éruption volcanique, nous offre en même temps comme une approximation del’apocalypse, un avant-goût du jour dernier.
« Voir à travers les pierres » disait Bachelard que Sabine Mirlesse aime à citer, avec Dante, autre explorateur des régions souterraines. Cet infra-monde est gros de nos hantises. Lespoètes seuls y ont accès. Et les artistes qui choisissent d’en décrypter les récits ens’approchant au plus près des interstices de notre monde avec l’autre. Fumeroles, soufres etcendres sont les matériaux de prédilection de cette artiste oraculaire. Dans la cendre desvieux volcans, ce sont les récits de l’infra-monde qui s’écrivent ici. Dans une série plusancienne, l’artiste avait forgé des baguettes de sourcier et recueilli le secret des dernièressorcières de la Sardaigne. Echeveau de récits à démêler.
L’artiste a choisi ici de prendre le philosophe au pied de la lettre et de « voir à travers les pierres ». Elle présente deux photographies, qui se donnent justement pour défi de traverserles pierres.
Dust # 6 de 2020, est moins un photogramme, technique popularisée par Man Ray et dont l’artiste se défie, qu’une saisie de la lumière à travers la poussière de marbre et à même lepapier sensible. Dans une vertigineuse connivence conceptuelle avec la très réelle cendrevolcanique dont les sombres efflorescences suintent sur la toile suspendue qui lui fait face, l’image photographique rayonne ici de cette poussière marmoréenne qui a filtré la lumière.
Et ce même fantasme d’une vision qui saurait pénétrer les entrailles géologiques du mondese retrouve dans la photographie de petit format The cave is an eye de 2021. Un œil au fond de la caverne pour mieux voir ? Le même procédé de prise de vue sans appareil capture la vision sensible à travers les fragments d’Onyx empilés.
Interagir avec les volcans donc. Leur arracher une escarbille du feu originel, un fragment deleur mystère. Par l’image et par le mot. Privée d’accès à l’atelier, au laboratoirephotographique dans les premières semaines de la pandémie, à ses volcans, l’ar*ste a prisl’habitude d’écrire à ses volcans. Commencement d’une longue correspondance avec Merapi,Paricutin, Hekla, Stromboli, Shishaldin, Etna ou Vesuvius. Portrait de l’artiste en épistolièrevolcanique qui accepte de présenter, dans cette exposition, quelques lettres choisies parmi une correspondance de plus d’une centaine de missives adressées à ces volcans comme àdes proches aimés ou des amis fantasmés. Chaque lePre est unique. Tapée à la machine, nonsans repentirs, tant les mots s’effilochent et se chevauchent. L’image du destinataire estaccolée au texte en format carte postale. La sérialité des images d’archives soigneusementcollectionnées ne se donne pas pourtant comme une œuvre documentaire. A rebours d’unecertaine tradition de la photographie allemande après August Sander, après Bernd et Hilla Becher, le dispositif des lettres et images de volcans n’avoue pas d’ambi*on typologique oudocumentaire. Là n’est pas un répertoire des volcans du monde mais bien le romanépistolaire d’une artiste qui sait « voir à travers les pierres »
Alexandre Colliex